La Fabrique de l’Opéra
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Exposition au couvent des jacobins
Qui se souvient encore que, de 1954 à 1981, le réfectoire du Couvent des Jacobins a accueilli les ateliers décors de l’Opéra du Capitole dans l’ancien réfectoire ? Du 6 mai au 24 septembre, le Couvent des Jacobins propose une merveilleuse exposition où décors, costumes et accessoires d’opéra et de ballet ressuscitent ces trois décennies entre les vénérables murs du XIVe siècle.
Cette exposition, proposée en partenariat avec l’Opéra national du Capitole, présentera près de 150 pièces exceptionnelles dans une scénographie spectaculaire et immersive. Parmi ces trésors, il est possible d’admirer les costumes de Casse-Noisette, et d’Ariane à Naxos mais également l’extraordinaire escalier de La Walkyrie signé par le décorateur Ezio Frigerio ou encore des impressionnantes perruques imaginées par Christian Lacroix pour Un ballo in maschera. L’occasion de revenir sur une période méconnue de l’histoire du Couvent des Jacobins.
L’exposition aborde le savoir-faire des différents métiers de la création : de la direction artistique aux ateliers de production (peinture, sculpture, ferronnerie, couture, etc.) en passant par les rôles du scénographe et du bureau d’études. Des panneaux explicatifs permettent de découvrir les
techniques propres à chaque métier dont le travail, aussi minutieux que créatif, fascine. Maquettes, esquisses, affiches et enregistrements vidéo seront également à l’honneur.
Une occasion rêvée de plonger dans les coulisses de l’Opéra national du Capitole et de découvrir un artisanat d’art du plus haut niveau qui prélude à la magie du spectacle !
ENTRETIEN
Avec Marie Bonnabel
Une évocation qui va réveiller notre âme d’enfant, comme nous le confie Marie Bonnabel, conservatrice du Couvent des Jacobins et commissaire générale de cette exposition à ne surtout pas manquer.
Comment est né le projet de cette exposition ?
Le projet est né de notre souhait constant d’éclairer certaines pages de l’histoire du Couvent des Jacobins. Or, cette histoire a croisé celle de l’Opéra du Capitole ! De 1954 à 1981, le grand réfectoire, daté du XIVe siècle, a servi de lieu de création des décors de l’Opéra, dont l’atelier s’était effondré. C’est certes une courte période à l’échelle de l’histoire du Couvent, mais ce furent des années marquantes, dont il reste de rares archives. Comme nous avons à cœur de faire vivre les lieux en rappelant ce qui a pu les animer, mon collègue Pierre Catalo, passionné d’opéra, a eu l’idée, qui m’a aussitôt séduite, d’évoquer cet épisode.
S’il reste peu d’archives, comment avez-vous rassemblé la matière de l’exposition ?
Nous nous sommes nourris des rencontres avec de rares témoins de cette période au Capitole, de quelques photographies et documents. Toutefois, il ne s’agit pas de reconstituer les ateliers à l’identique, mais plutôt d’évoquer une activité artisanale que les spectateurs n’ont jamais l’occasion d’observer : quand le rideau se lève, ils ressentent la magie des décors, costumes et accessoires sublimés par la lumière et la musique ; nous voulons leur donner à voir, littéralement, l’envers du décor ! La fabrication implique beaucoup de métiers et de savoir-faire qui restent toujours dans l’ombre. Nous voulions rendre à cet artisanat son caractère spectaculaire et immerger le visiteur dans cet univers fascinant.
Pouvez-vous trahir quelques secrets du parcours ?
Je dois d’abord trahir le secret de quelques regrets ! L’idée de départ était de faire pénétrer le visiteur, dès son entrée, à l’arrière du décor monumental des Maîtres-Chanteurs de Wagner1, dont l’effet de perspective est particulièrement impressionnant, et de le faire cheminer le long du grand mur blanc, plus contemporain, issu d’Ariane et Barbe-Bleue de Dukas2. Malheureusement, le réfectoire des Jacobins n’est pas doté de cintres, ce dispositif essentiel au théâtre et sans lequel de tels décors ne peuvent être montés. C’était incompatible avec un monument historique où prime la conservation. Nous avons donc choisi d’autres productions, tout aussi spectaculaires mais plus maniables : La Walkyrie de Wagner et Ariane à Naxos de Strauss3. Ces éléments scandent un espace où le spectateur est conduit à travers des séquences correspondant aux différentes étapes de création. On commence naturellement par la conception elle-même : esquisses, dessins, notes, maquettes, etc. Viennent ensuite les ateliers, avec leurs outils spécifiques, leurs matériaux et leurs réalisations : l’atelier métal ; l’atelier menuiserie ; l’atelier costumes avec les sections tailleur et flou ; l’atelier perruques, qui comprend des pièces spectaculaires comme notamment les créations de Christian Lacroix ; les bijoux et enfin les accessoires. Nous avons voulu éviter une disposition muséale et avons privilégié l’immersion et le processus de fabrication, comme si le spectateur était plongé au cœur de l’atelier.
Vous êtes donc allée chiner dans les réserves de l’Opéra ?
Oui, mais il nous a fallu d’abord comprendre la chronologie d’une production et l’organisation des ateliers : tels des ethnologues, nous avons observé nos collègues de l’Opéra pour comprendre leurs activités. Pour nous muséographes, cela demande une certaine acculturation ! Nous sommes habitués aux inventaires, aux classements, aux localisations par code-barres, et nous avons été un peu déroutés par le chaos apparent ! En réalité, l’Opéra possède une organisation très efficace, qui repose sur la mémoire des collaborateurs : ils savent par cœur où sont les choses, la production dont elles sont issues, l’usage de tel accessoire, les mensurations de tel chanteur ! Ils ont dans la tête toute une histoire non écrite du Capitole, c’est fascinant. Par ailleurs, décors, costumes et accessoires ont plusieurs vies : ils peuvent être transformés pour servir à différentes productions au fil du temps. Dans les réserves, le plus impressionnant est l’effet d’accumulation, sur des milliers de mètres carrés et plusieurs niveaux. Ce sont de gigantesques cavernes d’Ali-Baba, et j’avoue que cela a réveillé mon âme d’enfant : on voudrait essayer tous les costumes, jouer avec tous les accessoires !
Comment fait-on des choix dans une telle profusion ?
C’est le plus cruel ! (rires) On aimerait tout montrer, et il faut procéder par renoncements successifs. Lors de notre premier passage, nous avions retenu 150 costumes ; puis la moitié, puis encore la moitié… Le réfectoire ne fait après tout que 600 m2. Les choix sont difficiles, en fin de compte il faut être subjectif, laisser son goût s’exprimer, mais surtout s’orienter en fonction de la scénographie que nous souhaitons mettre en place.
Ferez-vous entendre de la musique ?
Bien sûr ! Nous avons prévu un petit auditorium où seront présentés des extraits de productions qui permettent de retrouver décors, costumes et accessoires en situation, mais aussi de donner à entendre et à voir de l’opéra. C’est l’alpha et l’oméga de toute cette activité foisonnante, il est important que le public puisse établir un lien sensible entre l’exposition et les spectacles. Nous ne nous adressons pas seulement aux amateurs d’opéra, mais à un large public qui, peut-être, ne connaît pas cet univers. Nous envisageons notre coopération avec l’Opéra national du Capitole comme une circulation fluide entre les publics, en miroir. C’est pourquoi l’exposition ouvrira ses portes au moment de la manifestation « Tous à l’opéra » (du 5 au 7 mai 2023), afin que les lyricophiles puissent compléter leur parcours en venant chez nous ; de même, elle courra jusqu’à fin septembre, permettant à notre public habituel de découvrir l’univers de l’opéra pendant les Journées du patrimoine (16 et 17 septembre). Nos deux institutions sont voisines, au cœur de la ville, et nous avons en commun une mission patrimoniale qui peut fonctionner en synergie. Pendant presque trente ans, la magie des spectacles a circulé entre les Jacobins et le Capitole, nous voudrions la ressusciter le temps de cette exposition.
Propos recueillis par Dorian Astor
- Mise en scène de Nicolas Joel, décors de Jean-Marc Stehlé et Antoine Fontaine, costumes de Gérard Audier, 2002.
- Mise en scène, décors et costumes de Stefano Poda, 2019.
- La Walkyrie, de Nicolas Joel, décors d’Ezio Frigerio, costumes de Franca Squarciapino, 1999 ; Ariane à Naxos, mise en scène de Michel Fau, décors et costumes de David Belugou, 2019.