Pierre Nougaro fête ses 120 ans !
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Cette année, Toulouse rend hommage à l’enfant du pays : Claude Nougaro, pour le 20e anniversaire de sa disparition. Au programme de la Saison Nougaro : expositions, concerts, ou encore animations littéraires, à découvrir depuis le mois de mars et jusqu’à la fin de l’année. À cette occasion, l’Opéra national du Capitole souhaite rendre également hommage au père de Claude, le baryton toulousain Pierre Nougaro (1904-1988), qui fut un immense artiste lyrique : nous célébrons aujourd’hui le 120e anniversaire de sa naissance.
Retour sur une carrière prestigieuse, par le critique musical José Pons, spécialiste du chant français.
PIERRE NOUGARO, GLOIRE DU THÉÂTRE DU CAPITOLE
Le grand public se souvient aisément du fils, Claude Nougaro, mais moins de son père le baryton toulousain Pierre Nougaro. Ils menèrent tous deux une superbe carrière artistique, le premier compositeur et poète se consacrant à la chanson française et au jazz, le second se vouant à l’art lyrique dans la continuité d’une longue tradition hexagonale d’excellence. Le premier vouait une immense admiration au second et ne manquait jamais de saluer l’héritage musical qu’il lui avait transmis.
Claude Nougaro se confiait ainsi sans ambiguïté au micro de la productrice Claude Maupomé sur les ondes de France Musique en 1976 au cours de son émission Concert égoïste : « Si je veux parler musique, c’est à mes parents que je me réfère et à l’inestimable trésor qu’ils m’ont donné, celui de l’opéra italien. Si l’opéra m’a tellement envahi, c’est qu’il était le lieu de toutes les passions. Dès ma plus tendre enfance, j’ai été entraîné dans les coulisses de l’opéra où mon père me serrait sur le poitrail de Lohengrin ou lorsque sa bosse de Rigoletto et son visage tordu étaient pour moi le signe que j’allais pleurer de joie. Il avait des trépas somptueux qui me faisaient jubiler. J’adorais voir mourir mon père, car sa mort était chargée d’une émotion suprême et ensuite il revenait pour moi ! ».
Pierre Nougaro est né le 27 avril 1904 à Toulouse. Sa jeunesse apparaît indéniablement baignée par la musique. Ses parents chantent tous deux au sein d’une chorale, son père travaillant même pour le Théâtre du Capitole. La famille réside dans le quartier des Minimes. Très vite, le jeune homme choisit de se diriger vers la carrière de chanteur d’opéra qui le fascine. Il poursuit des études complètes de musique et de chant au Conservatoire de Toulouse. Il y obtient ses premiers prix de chant, d’opéra et d’opéra-comique, avant de partir se perfectionner au Conservatoire national de musique de Paris. Pour vivre, Pierre Nougaro se fait choriste aux Folies Bergère. Il se marie en 1928 avec la pianiste elle-même premier prix de conservatoire, Liette Tellini. Elle restera le bras droit et le guide vigilant de son mari durant toute sa carrière. Trois enfants naitront de cette union, dont Claude Nougaro l’ainé en septembre 1929.
La magnifique voix de baryton de Pierre Nougaro, mordante et large, ses dons innés de comédien, lui ouvrent les portes de l’Opéra de Paris dès sa sortie du Conservatoire. Il y débute le 10 novembre 1929 dans le rôle du Hérault de Lohengrin de Richard Wagner. Dès l’année suivante, Pierre Nougaro est distribué sur cette scène prestigieuse dans des incarnations de premier plan dont Rigoletto (rôle-titre) et Amonastro d’Aida de Verdi, Athanaël de Thaïs et Hérode de l’Hérodiade de Massenet, Valentin du Faust de Gounod, le Grand-Prêtre de Samson et Dalila de Camille Saint-Saëns, Telramund de Lohengrin et en 1943, Iago d’Otello de Verdi, assurément une de ses incarnations majeures. Il reste attaché au Palais Garnier jusqu’en 1948. L’Opéra-Comique l’accueille à son tour en octobre 1942 avec Zurga des Pêcheurs de perles de Bizet. Il y chante aussi Scarpia de la Tosca de Puccini et le rôle-titre du Chemineau, drame lyrique de Xavier Leroux d’après la pièce de Jean Richepin. Son interprétation saisissante du Chemineau lui vaudra de recueillir les plus vifs succès, au Capitole notamment.
Au Capitole de Toulouse, son théâtre de cœur, il se produit dans la plupart de ses rôles majeurs à partir d’octobre 1936, débutant dans La Traviata de Verdi. Durant la saison 1948/1949 qui voit l’arrivée d’un illustre directeur du Capitole, le ténor Louis Izar, Pierre Nougaro est programmé dans la Tétralogie de Richard Wagner (présentée pour la première fois sur cette même scène en 1927). Louis Izar pour ces représentations historiques a su réunir une distribution vocale de qualité. Notre baryton intervient dans Siegfried et Le Crépuscule des dieux, ouvrages donnés en version française comme il était d’usage à l’époque. En 1954 encore, il brille dans le rôle de Iago auprès de Régine Crespin en Desdémone. Pierre Nougaro va se produire sur pratiquement toutes les scènes lyriques françaises avec un succès continu qui lui vaut d’obtenir une vive popularité, ainsi qu’au Grand Théâtre de Genève et sur les scènes des théâtres belges. Il paraît ainsi au Théâtre Royal de la Monnaie de Bruxelles en 1954/55 dans Rigoletto, Otello, mais aussi dans le rare ouvrage d’Henry Février, Monna Vanna. A l’Opéra de Bordeaux en octobre 1951, il assure la création mondiale dans le rôle-titre de l’opéra de Georges Bizet, Ivan IV, soit Ivan le Terrible.
À sa retraite d’artiste lyrique, tout en professant le chant, Pierre Nougaro devient directeur de théâtre à Besançon où il arrive en 1957. Malheureusement, le magnifique édifice élaboré par Claude-Nicolas Ledoux – architecte des Salines Royales d’Arc-et-Senans – et ouvert en 1784, brûle en totalité en avril 1958. Ne demeurent préservées que la façade et ses majestueuses colonnes ioniques. Pierre Nougaro coordonne avec une remarquable efficacité le travail de reconstruction du théâtre qui réouvre ses portes au public dès novembre 1958 avec une représentation d’Otello avec le ténor José Luccioni, Berthe Montmart et bien entendu lui-même dans le rôle de Iago. Pierre Nougaro est alors fait chevalier de la Légion d’honneur.
Infatigable travailleur, Pierre Nougaro va ensuite poursuivre une carrière de comédien au théâtre avec notamment Le Grenier de Toulouse, à la télévision et au cinéma. Il apparaît ainsi dans Jean de Florette et Manon des Sources, deux films à grand succès de Claude Berri. Jamais d’ailleurs Pierre Nougaro n’abandonnera son bel accent toulousain, il le revendiquera toujours avec fierté. Il décède à Marseille en octobre 1988 et repose au Cimetière toulousain de Terre-Cabade, non loin de la populaire cantatrice Mady Mesplé. Dans ses premières années de carrière, Pierre Nougaro a enregistré des grands airs d’opéra de son répertoire. La firme discographique Malibran-Music en propose une excellente réédition.
José Pons
Critique musical pour le mensuel Opéra Magazine et les sites internet Olyrix et Classikeo